L’identité de genre L’impensé sociojuridique dans les sociétés de droit

Contribution aux « Actes de la Table Ronde du 7 juin 2013 sur les transidentités »

Cet article est ma contribution aux actes de la table ronde du  7 juin à Paris. Je n’exclue pas la possibilité d’une réécriture en vue d’une publication dans une revue.

Les actes complets peuvent sont consultables sur le site de l’association Id Trans qui présente le document ainsi : Id Trans’ a contribué à l’organisation de la table ronde de l’InterLGBT du 7 juin 2013 à la mairie du IIIe arrondissement de Paris sur le sujet : « Pourquoi et comment donner des droits civils aux personnes trans ». Les actes sont à télécharger => ICI. (Source Id Trans’)

ACTES de la Table Ronde du 7 juin 2013 sur les transidentités
ACTES de la Table Ronde du 7 juin 2013 sur les transidentités

Contribution de  Karine Espineira

Karine Espineira  est Docteure en Sciences de l’information et de la communication, qualifiée MCF à la  71ème section CNU.
Elle est chercheure associée au LIRCES (Laboratoire Interdisciplinaire Récits, Cultures Et sociétés) dans le Département Sciences de la Communication Faculté des Sciences Humaines, Arts et Lettres  de l’Université de Nice-Sophie Antipolis.

Résumé

Nous parlerons beaucoup de la loi en Argentine. Désormais, elle est la référence absolue en matière de changement d’état civil pour les personnes trans. Aux yeux des pays concernés, par les mouvements demandant au législateur d’acter la reconnaissance de l’identité de genre, l’Argentine endosse le statut de laboratoire des principes de Jogjakarta et des recommandations du rapport Hammarberg[1]. La loi donne cependant lieu à exotisation et les raccourcis laissent penser à une loi « pour minorité » finalement très (et trop) permissive. Avec les avocats Emiliano Litardo et Iñaki Regueiro De Giacomi ont comprend que le droit est un acteur des transformations sociales, constitutif d’exclusions culturelles, économiques, politiques et sociales, et qu’il peut rendre la vie des personnes invivable. Il est désormais du devoir du droit de développer une conscience critique et de prendre en compte ce qui tient de « la pratique d’exclusion ». La loi argentine doit donc être considérée comme une loi sociale avant tout.

En France aussi on note ce glissement vers un droit conscient de son incidence sur la vie des personnes. Ce Droit que l’on pensait immuable, indéboulonnable, cartésien, ancré sur des positions techniques, et des savoirs technicistes, nous prend à revers, prenant de cours le politique. Ce dernier semble « paniqué » à l’idée que le débat sur l’identité de genre alimente une nouvelle fronde et de nouvelles violences. Mais il revient au législateur d’être inclusif, coûte que coûte,  en considérant les identités trans dans leurs milieux sociaux et culturels et ne pas se conformer aux seules identités « transsexuelles » – les plus rassurantes à ses yeux. Nous préconisons bien un changement de paradigme : celui d’une reconnaissance politique et sociale  avec l’objectif de rendre la vie des personnes trans vivable.

Mots clés : identité de genre, transidentité, loi argentine, droit, état-civil, société

 

L’identité de genre

L’impensé sociojuridique dans les sociétés de droit

Dans l’Argentine des périodes de dictatures, le tatouage était interdit et connoté négativement. Dans ce pays aussi marqué par le catholicisme que ses voisins, la référence au Lévitique 19.28 n’est pas dénuée de pertinence : « Vous ne ferez point d’incisions dans votre chair pour un mort et vous n’imprimerez point de figures sur vous. Je suis l’Éternel ». On ne manquera pas non plus de préciser que  ce chapitre de l’Ancien Testament fait partie de la série de textes donnant « le code des lois », des considérations et observances religieuses et sociales. Le tatouage renvoyait aux figures du bandit et du délinquant. Les temps changent avec la démocratie, le journaliste Diego Cruz Neira explique que la société argentine a re-signifié le tatouage désormais considéré comme un art et « un signe  de distinction, de libération, d’indépendance, d’affirmation et d’autonomie »[2].

Le raccourci par la case tatouage ou celle de la chirurgie esthétique dont on dit l’Argentine aussi friande que le Brésil – à commencer par le recours assumé au bistouri de la présidente Cristina Fernández de Kirchner – n’est-il qu’un futile détour ou une simplification hasardeuse ? Ne pourrait-on pas se donner les moyens  d’une analyse plus fine en situant les usages sociaux de ce qui était hier encore tabou, impensable et inacceptable ? Et si nous suivions le sociologue Fernando Miglione de l’université de Buenos Aires quand il explique que « les tatouages ont cessé de faire partie du monde occulte pour s’imposer comme véritable composante sociale. Le tatouage a déjà dépassé le phénomène de mode pour se positionner comme un mécanisme d’expression »[3]. Pourquoi refuser de parler de l’identité de genre dans ses diverses formes comme un mécanisme d’expression d’une identité personnelle et sociale ? Serions-nous dans l’incapacité de traiter des réalités sociales autrement que par le recours à la médico-légalité, elle même dans l’incapacité[4] de traiter, d’accompagner et protéger ces identités « autres » que celles diagnostiquées « transsexuelles » au sens strict du terme ? Permettra-t-on que le sujet sorte de « l’occulte » ?

Un « laboratoire » de la « dépathologisation »

Nous parlerons beaucoup de l’Argentine. Désormais, elle est la référence absolue en matière de changement d’état civil pour les personnes trans. Aux yeux des pays concernés, par les mouvements demandant au législateur d’acter la reconnaissance de l’identité de genre, l’Argentine endosse le statut de laboratoire des principes de Jogjakarta[5] et des recommandations du rapport Hammarberg[6]. Le Chili sous l’impulsion de l’association OTD (Organización de Transexuales por la Dignidad de la Diversidad, Organisation de Transsexuels pour la dignité de la diversité) emboitera peut-être le pas. L’association est basée au nord du pays, dans la ville de Rancagua et s’adresse aux publics énoncés comme suit : personnes transsexuelles, transgenres, travesties, hommes, femmes, transmasculins, transféminines, ou comme chaque personne souhaite se définir ou  s’identifier[7]. L’inclusion est encore une fois de mise. N’oublions pas que les institutions comme les associations ne « paniquent » pas en associant les trois « T » (transsexuel, transgenre, travesti) contrairement à la culture française.

Laurence Hérault repose la question du comparatisme anthropologique interrogeant nos capacités de traduction et elle nous conduit à la question : comment décrire les expériences trans, de changement de Genre dans d’autres cultures[8] ? De même comment décrire et rapporter les phénomènes d’inclusion ou d’exclusion observables aussi bien chez les personnes trans, que les institutions auxquelles elles sont confrontées selon leur parcours de vie, et la société dans son ensemble ?  Parlons-nous seulement de différences culturelles ? En quoi des sociétés marquées par la religion (parfois avec un fort conservatisme), la colonisation, les dictatures  successives, des économies plus ou moins émergentes, et un paysage social où se notent de grandes inégalités, parviennent-elles à considérer avec plus d’apaisements et moins de craintes une notion aussi politique que culturelle et méritant le qualificatif d’humaniste ?

Quelques jours avant l’adoption de la loi en Argentine, l’interview de Pedro Paradiso Sotille (CHA : Comunidad  Homosexual Argentina), sur ABS-CBN News[9], nous rappelle que cette loi est soutenue par les sénateurs et la présidente, qu’elle permet des changements d’état-civil sans opération de réassignation et sans stérilisation, et qu’elle va aussi bénéficier aux personnes souhaitant l’opération. En France, la loi en Argentine a fait l’objet de traitements médiatiques importants, dans la presse particulièrement. Le quotidien Le Monde titre : « En Argentine, choisir son genre devient un droit » et l’article développe : « Ce texte autorise les citoyens argentins à déclarer le sexe de leur choix, et ainsi de changer d’état civil selon leur bon vouloir, sans nécessiter l’accord d’un médecin ou d’un juge. L’identité de genre ne dépend plus que du « vécu intérieur et individuel du genre, tel que la personne le perçoit elle-même » »[10]. De son côté Le Figaro explique : « Le sénat argentin a approuvé dans la nuit d’hier à aujourd’hui un projet de loi sur l’identité sexuelle qui autorise les travestis et transsexuels à déclarer le sexe de leur choix auprès de l’administration, endossant ainsi définitivement le texte adopté en première instance par la Chambre des députés »[11]. Le 12 mai 2012, on peut lire dans Le Nouvel Observateur : « L’Argentine, premier pays d’Amérique latine à avoir légalisé le mariage entre personnes du même sexe, a encore étonné cette semaine en autorisant le libre choix de l’identité sexuelle et l’euthanasie, des avancées possibles en l’absence de contrepoids conservateur et grâce à une opinion publique urbaine (…) Ils interviennent après la loi sur le mariage entre homosexuels adoptée en 2010 et restée un cas unique en Amérique latine. « Les deux thèmes constituent une réaffirmation de l’autonomie et des droits individuels », a déclaré à l’AFP la sénatrice du parti au pouvoir Sonia Escudero. Ils reflètent « un élargissement de la conscience des citoyens » »[12]. Dans l’article que consacre le magazine Têtu à cette actualité on retient que c’est sur  « simple requête » (intertitre de l’article) « au Registre National des familles que la demande devra être effectuée. Les mineurs devront la faire par le biais de leurs parents (…) La confidentialité est également respectée, puisque l’acte de naissance initial ne sera consultable qu’avec l’autorisation de l’intéressé ou sur demande d’un juge » [13]. Sur Yagg, c’est entre autres la joie de Mauro Cabral (de GATE : Global Action for Trans* Equality) qui est partagée. Il explique que  la « nouvelle loi permet aussi aux mineur-e-s de modifier leur genre, avec le consentement de leur représentant-e légal-e. En cas de désaccord, un juge devra trancher pour assurer la protection des droits de l’enfant. «Ce soir, nous sommes vraiment heureux/ses et fièr-e-s de notre mouvement et de nos allié-e-s et prêt-e-s à faire que cette loi fonctionne pour changer notre réalité »[14].

Ce tour d’horizon volontairement restreint montre l’ensemble des points concernés par la loi et l’intérêt qu’elle suscite. Notons qu’un point important est souvent passé sous silence : la loi a aussi modifié  les modalités du « parcours transsexe », expression qui nous permet de désigner les parcours de vie comprenant l’opération de réassignation.  Il ne s’agit pas seulement d’une loi se concentrant sur l’état-civil mais aussi sur les termes de la prise en charge des trans. Cette loi est une véritable « dépathologisation » de la question trans. À titre de comparaison, le déclassification française – qui tenait déjà du tour d’illusionniste – passe bien cette fois-ci pour un leurre avéré.

Le Droit interroge le Droit

Nouvelle perspective : la loi sur l’identité de Genre en Argentine est peut-être une « loi sociale » avant d’être une « loi pour minorité ». On l’a dit, elle tient la psychiatrie à distance des personnes déjà socialement en position de vulnérabilité[15] : chômage, VIH, prostitution, sans-domicile, agressions, meurtres. Les taux élevés révèlent les difficultés d’accès aux soins, à l’emploi et au logement et la sécurité. On a pensé aussi au contexte post-dictature, voyant dans l’Argentine la movida de l’Espagne postfranquiste qui a consisté en un essor culturel, économique et politique doublé d’une « libération sexuelle » et d’une grande soif de liberté en abolissant « des prohibitions ».

Cette loi argentine dont sait qu’elle est le fruit d’un travail inter-associatif ne s’est pas faite sans frictions, n’a pas été élaborée sans l’aide d’avocats et de juristes.  Étudions les situations d’Emiliano Litardo et Iñaki Regueiro De Giacomi. Tous deux sont avocats et universitaires (Universidad de Buenos Aires). Le premier effectue une recherche sur les droits humains et les droits sexuels. Le second enseigne le droit international et agit pour les droits des personnes en situation de handicap. Ils se définissent comme des « activistes légaux », « impliqué-e-s » dans les droits humains et sexuels. Ils expliquent : «  La possibilité d’une transformation sociale et politique nous concerne par l’action critique que nous exerçons sur le droit »[16]. Ils revendiquent la lutte politique portée par tant de personnes auparavant et qui leur ont tracé la route : «  Somos gracias a sus rebeliones » (« nous existons grâce à leur rébellion »), tout comme Susy Shock et Karen Benett, deux figures de la scène culturelle et militante argentine, revendiquent en écho « leur droit à être des monstres » (et que les autres soient « le normal »).

Litardo et Regueiro affirment que le droit est constitutif d’exclusions culturelles, économiques, politiques et sociales, qu’il rend parfois la vie des personnes invivable. Il semble être désormais du devoir du droit de développer une conscience critique et de prendre en compte ce qui tient de « la pratique d’exclusion ». Le droit lui-même peut défaire ces exclusions en trouvant des solutions et en développant une créativité critique pour faire face à des problèmes concrets. La spécialisation dans le droit n’est plus une spécialisation professionnelle mais une spécialisation éthique et détectée comme telle par les publics défendus[17].

La CNCDH qui n’a pas jugé pertinent de m’entendre ni comme universitaire ni comme  représentante trans[18], redoutant peut-être un parti-pris « militant » s’est tout de même confrontée, on s’en doute, à un discours progressiste là où l’on ne l’attendait pas : les juristes. « Encore eux ! », serait-on tenté de dire, et d’ajouter : « Mais à quand les experts médicaux de la question ? ».

Daniel Borrillo a publié le texte de son audition devant la CNCDH, et le texte n’a pas été sans effets et n’est pas sans faire songer à l’évolution du droit en Argentine. Il écrit : « Indépendamment de la pertinence juridique de l’assignation du sujet de droit au sexe, il est indiscutable qu’il existe un type de discrimination spécifique envers les personnes transidentitaires. Le droit doit donc agir en matière de lutte contre les discriminations en s’appuyant sur le système des « catégories prohibées »[19]. Philippe Reigné écrit dans un texte de  2011 : « L’article 9 de la Convention EDH garantit la liberté des convictions et, conséquemment, le droit d’en changer, sans que cette liberté ne puisse faire l’objet d’aucune restriction de la part des États[20]. L’identité de genre peut-elle s’analyser en une conviction au sens du texte précité ? (…) Selon la Cour EDH, le terme de conviction « s’applique à des vues atteignant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et d’importance »[21]. La généralité de cette définition, combinée à l’approche dynamique et évolutive adoptée par la juridiction européenne dans l’interprétation des stipulations de la Convention[22], n’exclut pas, d’emblée, l’identité de genre des convictions protégées par la liberté de conscience »[23]. Commentant le rapport « Combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre – Les normes du Conseil de l’Europe » (2011), Marie-Xavière Catto souligne les points suivants : « Dans la continuité des recommandations elles-mêmes, qui après avoir constaté que les jeunes LGBT étaient confrontés à des « programmes scolaires qui ignorent les questions relatives aux LGBT » (Résolution 1728 (2010) de l’Assemblée parlementaire, §8) et invitaient alors les gouvernements à « aborder la question de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre de façon respectueuse et objective dans les programmes scolaires » (Exposé des motifs, Commentaires, §32, expliquant l’annexe de la Recommandation Rec(2010)5, §32), les auteurs de la préface insistent sur le fait que les normes juridiques et politiques présentées, essentielles mais insuffisantes, « doivent être combinées avec des normes éducatives, culturelles et de sensibilisation propres à supprimer à terme la discrimination et l’intolérance »[24]. Dans un rapport de l’association ORTrans, Laurent Delprat écrit : « La République se doit de reconnaitre un intérêt particulier dans une considération collective, car elle se veut sociétale, une, et indivisible. Ne pouvant tolérer de rupture devant l’égalité républicaine, l’État se devra de protéger cette population de toute marginalisation ou discrimination, afin de la réintégrer au sein de la Cité »[25]. À la question « Peut-on imaginer que des Français changent d’état civil comme en Argentine ? », François Vialla répond : « On en est très loin. La France reste ancrée dans l’idée que le sexe est un élément de l’état des personnes – mâle, femelle -, tandis que le genre – féminin, masculin – n’a pas droit de cité. Nos tribunaux considèrent en effet que, pour obtenir une modification d’état civil, il faut avoir changé de sexe de manière irréversible. Ce qui revient à condamner les gens à la stérilisation »[26].

Le glissement vers un droit conscient de son incidence sur la vie des personnes est indiscutable. Ce Droit que l’on pensait immuable, indéboulonnable, cartésien, ancré sur des positions techniques, et des savoirs technicistes, nous prend à revers, prenant de cours le politique. La chercheure en sciences sociales et humaines se réjouit ainsi à l’annonce de la table ronde du 7 juin à Paris réunissant plusieurs des personnes précitées[27].

On doit cependant relater les coulisses méconnues. L’associatif trans était aussi partagé que ses représentant-e-s en charge du dossier.  D’un côté : « Il ne faut pas trop en demander sous peine de ne rien avoir », formule connue et entendue depuis les réunions des premières associations parisiennes du milieu des années 1990. De l’autre, « il faut y aller franchement pour une loi pour toutes les personnes trans », expression plus récente, plus politique aussi, portée par des collectifs et des associations progressistes depuis le début des années 2000. Cette friction et ses répercussions,  nul doute qu’elles aient donné lieu à des démonstrations lors des consultations de la CNCDH. Puis, vient la multiplication des écrits des juristes relayés dans l’associatif trans et le coup de semonce de Borrillo fait mouche. Un silence précède l’interrogation et des fusils changent d’épaules.

Se défaire de la colonisation

Envisageons la colonisation des esprits. N’ayons pas peur des mots : la France – qui occupe nos pensées dans la perspective d’une hypothétique loi sur l’identité de Genre à la hauteur des enjeux – ne veut que des personnes transsexuelles. Elle ne veut pas des transgenres, des travestis, comme d’hommes enceints ou de femmes voulant conserver leur sperme dans le cadre d’un projet familial post-transition. Notons qu’on a vu lors des débats sur le « mariage pour tous et toutes » à quel point l’usage des technologies de procréation crée du trouble chez les tenants d’une famille traditionnelle et l’on a manqué de s’étouffer à entendre certains hommes politiques parler d’une structure familiale moderne mais dont on fait remonter l’existence à la nuit des temps, renaturalisant tout ce qui semble possible de l’être.  Il n’y a pas si longtemps on agitait le spectre d’une homosexualité galopante et l’on craignait de voir des vocations « transsexuelles » se multiplier. Cela aurait pu prêter à sourire si nous n’avions en mémoire les violences qui ont entouré le mariage pour tous et toutes. Le mot obscurantisme s’est vu soudainement sortir de sa désuétude. Les esprits et les cœurs sont marqués.

Depuis 1982, on sait que l’académie la médecine, celle de « la prise en charge » des trans, s’opposait au projet de  loi Caillavet. On parle de ce même corps médical qui dit aujourd’hui que le politique et les sciences humaines et sociales n’ont pas à interférer avec le diagnostic et l’état-civil. On peut gloser sur les paroles et les actes. Les boucliers thérapeutiques et juridiques (des outils de légitimations) ont fini par modeler le paysage trans, y créant autant de cohésions que de divisions. Faut-il que l’auteure de ces lignes soit trans et doive composer avec un statut d’insider et d’outsider pour dire que les débats stériles entre des identités transsexuelles et transgenres ont toujours cours dans l’associatif français ? Se défaire d’une colonisation c’est apprendre à reconnaître les idéologies héritées et instituantes.

« La société » comme « le législateur » seraient prêts à accepter une amélioration des conditions de vie des personnes transsexuelles, mais ne sauraient composer ni accepter des « aller-retour », nous explique-t-on en off de telle ou telle consultation, et c’est ignorer que la loi Argentine permet « un aller » et pas « des aller-retour » sur « simple requête », possibles certes, mais encadrés par un juge. Nous sommes loin de la permissivité et d’une sorte « d’anarchie du Genre » justifiant les craintes exprimées par nos politiques. Nous proposons ici la notion de gender panic (panique de genre) sous la forme d’un néologisme anglo-saxon pour pointer vers la notion de sex panic développée par Carole Vance, Gayle Rubin, Estelle Freedman, Jeffrey Weeks ou encore Lisa Duggan[28]. L’historien Allan Bérubé  l’a ainsi définit : a « sex panic » as a « moral crusade that leads to crackdowns on sexual outsiders »[29]. Dans notre cas, « gender panic » correspondrait à une « croisade morale pour réprimer les dissidents du (et au) genre ». On pense aussi au « genre hors-la-loi » (gender outlaw[30]) définit par Kate Bornstein.

On devine que les identités trans dans leur grande pluralité ne sont pas vues comme créatives au sens de « se construire » mais re-créative au sens de « performer », voire  « jouer à la femme ou à l’homme ». Depuis la valse médiatique de propos plus outranciers les uns que les autres de la part de Christine Boutin, de Frigide Barjot et autres membres extrémistes de Civitas, on craint que le débat sur l’identité de genre n’alimente une nouvelle fronde et de nouvelles violences.  C’est oublier que cela n’a jamais cessé d’être le cas, et ce, depuis la polémique des manuels Sciences et Vie de la Terre (SVT), depuis que l’expression « idéologie gender » a été clamée à l’Assemblée Nationale. Très récemment encore : « l’Union nationale inter-universitaire (UNI), association étudiante de droite très active dans la contestation contre le « mariage pour tous », a ainsi fondé l’Observatoire de la théorie du genre, proposant d' »ouvrir les yeux sur la théorie du genre », une « idéologie […] qui vise à remettre en cause les fondements de nos sociétés ‘hétéro centrées’, de substituer au concept marxiste de la lutte des classes, celui de la lutte des sexes » »[31]. Le gouvernement de gauche n’échappe pas à ce vent de « panique », comme le montre une dépêche AFP rapportant les propos du ministre Vincent Peillon : « Il n’y a pas de débat sur la théorie du genre, on l’a dit à plusieurs reprises, aucun. Par contre, bien entendu, il faut lutter contre toutes les discriminations, à la fois de race, religieuse, et de l’orientation sexuelle, car elles causent de la souffrance (…) Nous sommes pour l’égalité filles-garçons, pas pour la théorie du genre »[32].  Comment construire une charpente en estimant que l’usage d’un marteau ou de clous est amoral ou injustifié ? On peut aussi s’engager dans une « théologie scientifique » semble-t-il avec un article de Nancy Huston et Michel Raymond. Ils écrivent : « Certains domaines sont tout simplement désossés de toute influence biologique ; la thèse qui en résulte n’est pas bien différente d’une mythologie moderne. Ainsi de l’idée selon laquelle toutes les différences non physiologiques entre hommes et femmes seraient construites (« la théorie du genre », introduite depuis peu dans les manuels scolaires français). Dans le monde vivant, mâles et femelles diffèrent toujours biologiquement (…) »[33]. Les Gender Studies – préférable à « théorie du genre » dont on doit l’usage « aux détracteurs » – n’ont jamais nié la réalité biologique et bien que les bonobos me soient très sympathiques, je ne pense pas que nos vies sociales et nos vécus identitaires respectifs soient si proches malgré les déterminismes biologiques posés comme un argument massue. L’idée d’un invariant anthropologique pose bien des questions puisque liée à la condition humaine, nous ramenant ainsi (et encore) du côté de la culture.

Avec Érasme et le courant culturel qui va s’étendre de Florence à toute l’Italie puis à toute l’Europe avec la Renaissance, nous pourrions en appeler avec utopie ou naïveté à une conception progressiste de l’humain. L’humanisme par extension serait ici, en ce lieu et cet instant, de mettre au premier plan la valeur éthique que l’on investit dans l’intérêt que l’on porte à l’être humain comme la valeur de l’individu, la dignité, l’engagement, la solidarité ou encore le respect de l’auto-détermination. Cet humanisme-là est exigeant, il exige de faire taire nos peurs, d’alimenter raisonnablement nos doutes, de nommer sans disqualifier et d’agir sans normer. L’identité est un illimité dans le champ des savoirs et le genre est « un outil critique »[34], explique Éric Fassin, forgé par les féministes qui ont ainsi opéré la transformation d’une catégorie normative. Rien de moins. Interroger l’identité de Genre[35], en accepter les « variances », protéger les divers modes d’expression sans donner lieu à pathologisation de la différence, telle est l’inscription dans une approche foucaldienne et un humanisme contemporain se donnant pour objectif de diffuser un patrimoine culturel qui à défaut d’être commun doit être (re)connu de tous.

Selon Litardo et Regueiro[36] la loi argentine « 27.743 » est venue tenter de réparer des situations précises, concrètes et avérées : stigmatisations et criminalisations. Les processus de vulnérabilisation sont quotidiens et institutionnels dans cette perspective.   Il revient au législateur d’être inclusif en considérant les identités trans dans leurs milieux sociaux et culturels. La loi argentine n’est pas transposable à volonté et en l’état. Chaque société doit se donner les moyens de penser le dispositif adéquat pour tou-te-s. Nous préconisons bien un changement de paradigme : celui d’une reconnaissance politique et sociale  avec l’objectif de rendre la vie des personnes vivable. Désormais, quelqu’un peut-il raisonnablement s’opposer à l’idée que les personnes trans sont en capacité d’agir en individus libres et responsables ?

Karine Espineira


[1] Idée à relativiser si l’on tient compte du fait que la première recommandation n’est pas appliquée.

[2] « Tatuarse, un sello de distinción », LaNacion.com, 24 février 2011.

[3] Cité par Diego Cruz Neira, op. cit.

[4] Je décris ce dispositif dans l’article « Le bouclier thérapeutique, discours et limites d’un appareil de légitimation », in Le sujet dans la Cité, « Habiter en étranger : lieux mouvements frontières », n° 2, Delory-Momberger C., Schaller J.-J. (dir.), Revue internationale de recherche biographique, Téraèdre, p. 189-201, 2011.

[5] Principes sur l’application de la législation internationale des droits Humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de Genre, 2007, [En ligne], http://www.yogyakartaprinciples.org/principles_fr.pdf

[6] Thomas Hammarberg, « Droit de l’Homme et Identité de Genre », Conseil de l’Europe, Bureau du Commissaire aux droits de l’homme, Conseil de l’Europe, Strasbourg, octobre 2009, [En ligne], https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=1829911&SecMode=1&DocId=1458356&Usage=2

[7] Personas Transexuales, Transgéneras, travestis, hombres, mujeres, transmasculinos, transfemeninas, o como cada quien quiera definirse o identificarse. [En ligne], http://transexualesdechile.org

[8] Dans son Introduction au Tour du monde Trans, dans « La Transyclopédie », éditions « Des Ailes sur un tracteur, M.-Y. Thomas, A. Alessandrin, K. Espineira (dir.), 2012, p 276-278.

[9] « Gender change law soon in Argentina rights group », Ryan Chua, 21 avril 2012.

[10] Valérie Pasquesoone, Le Monde, 10 mai 2012.

[11] « Argentine : une loi sur l’identité sexuelle », 10 mai 2012.

[12] « L’Argentine étonne encore en autorisant le libre choix de l’identité sexuelle et l’euthanasie », AFP, 12 mai 2012.

[13] « En Argentine il est maintenant possible de choisir son genre », Mathilde Guillaume, 11 mai 2012.

[14] « L’Argentine adopte une loi historique sur l’identité de genre », Maëlle Le Corre, 10 mai 2012.

[15] Ce que j’ai pu « découvrir » à Buenos Aires (avril 2013) en rencontrant des membres et responsables de GATE (Mauro Cabral, Karen Benett), Futuro Transgenerico (Marlene Wayar), des avocats du groupe « Abogad*s Por Derechos Sexuales » (Emiliano Litardo, Iñaki Regueiro De Giacomi) impliqués dans l’élaboration de la loi, ainsi qu’un relationnel amical sur place (des ami-e-s tout simplement), entre autres acteurs et actrices de l’associatif argentin.

[16] Conformamos un equipo de activistas legales comprometid*s con los derechos humanos y los derechos sexuales. Nos convoca la posibilidad de transformación social y política mediante nuestra incidencia crítica con el derecho.

[17] On pense entre autres à l’avocate Magaly Lhotel ainsi présentée : « Avocat se consacrant notamment aux questions liées au transsexualisme et aux  libertés individuelles.  Procédures de changement d’état civil (prénom et mention du sexe), discriminations au  travail, atteinte à le vie privée et aux données personnelles ». Elle est très souvent qualifiée « d’humaine » dans les commentaires en « intra-communautaire ».

[18] Soit j’étais « militante » soit j’étais « universitaire » mais en aucun cas les deux. Mais il faut noter qu’à l’arrivée c’est bien « aucun des deux » qu’il a fallu entendre.

[19] « L’identité de genre : Audition de Daniel Borrillo devant la CNCDH », Médiapart, billet de blogpublié le  21 mars. [En ligne], http://blogs.mediapart.fr/blog/daniel-borrillo/210313/l-identite-de-genre-audition-de-daniel-borrillo-devant-la-cncdh

[20] Note de P. Reigné : En revanche, la liberté de manifester sa religion ou ses convictions peut faire l’objet des restrictions prévues au second alinéa de l’article 9 de la Convention.

[21] Note de P. Reigné : CEDH, 25 févr. 1982, n os 7511-76 et 7743-76, Campbell et Cosans c/ Royaume-Uni, §36.

[22] Note de P. Reigné : V. par ex. CEDH, 11 juill. 2002, n° 28957-95, préc. note (68), § 74. – CEDH, 11 juill.2002, n° 25680-94, préc. note (68), §54.

[23] « Sexe, genre et état des personnes », La Semaine Juridique,  Revue Lexis-Nexis, N° 42, 17 octobre 2011, p. 1890.

[24] « Un rapport du Conseil de l’Europe pour combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle », LeMonde.fr, blog Combat pour les droits de l’homme, 26 juillet 2011, [En ligne], http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr/2011/07/26/un-rapport-du-conseil-de-l’europe-pour-combattre-la-discrimination-fondee-sur-l’orientation-sexuelle/

[25] État civil et Population Trans Droits bafoués et violation de la vie privée, association Objectif Respect Trans (ORTrans), février 2012, p. 4.

[26] « En France, le genre n’a pas droit de cité», interview de François Vialla, spécialiste du droit de la santé : Par Marie-Joëlle Gros, Libération.fr, 25 juin 2012.

[27] Comme Lhotel, Reigné, Vialla, Catto, Delprat, Hérault pour les présent-e-s. Pour les absent-e-s, Dorlin, Fassin, entre autres, ou moi-même retenue à mon grand regret dans un autre engagement. Il aurait été judicieux de communiquer sur les absent-e-s. Il y a eu polémique sur la présence « d’experts » dont aucun trans. J’ai été aussi interpellée sur cette absence.

[28] L’ouvrage collectif dirigé par Gilbert Herdt relate les usages de cette notion : Moral Panics, Sex Panics: Fear and the Fight Over Sexual Rights, New York University Press, 2009. Lire en particulier l’article de Janice M. Irvine : « Transient Felling, Sex panics and the polotics of Emotion », pp. 234-276.

[29] Cité par John C. Berg, Teamsters and Turtles?: U.S. Progressive Political Movements in the 21st Century, dans le chapitre AIDS/Sex Panic, Boston: Rowman & Littlefield Publishers, 2003 p. 135.

[30] Kate Bornstein, Gender Outlaw : On Men, Women and the Rest of Us, New York : Routledge, 1ère édition, 1994.

[31] « Comment les détracteurs de la théorie du « genre » se mobilisent », par Delphine Roucaute, Le Monde.fr, 25 mai 2013. [En ligne], http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/05/25/comment-les-detracteurs-de-la-theorie-du-genre-se-mobilisent_3180069_3224.html

[32] « Peillon: « pas de débat sur la théorie du genre » à l’école », AFP, publié le 29 mai 2013 à 14:00.

[33] « Sexes et races, deux réalités », Le Monde, 17 mai 2013 à 18h30, mis à jour le 18 mai 2013 à 19h13.

[34] Éric Fassin, « L’empire du genre. L’histoire politique ambiguë d’un outil conceptuel », éditions de l’EHESS, L’Homme, 2008/3-4 – n° 187-188, p. 383.

[35] Pour mémoire : avec la majuscule j’adopte la graphie proposée par Marie-Joseph Bertini pour le terme Genre renvoyant ainsi aux apports des studies anglo-saxonnes.

[36] On peut découvrir une partie de leurs travaux sur le blog : « Abogad*s por los derechos sexuales ». [En ligne], http://abosex.wordpress.com/acciones-realizadas/

Bibliographie (ouvrages et articles) :

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BORRILLO Daniel, « L’identité de genre : Audition de Daniel Borrillo devant la CNCDH », Médiapart, billet de blog, publié le  21 mars. [En ligne], http://blogs.mediapart.fr/blog/daniel-borrillo/210313/l-identite-de-genre-audition-de-daniel-borrillo-devant-la-cncdh

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– La Transyclopédie, ALESSANDRIN A., THOMAS M.-Y., ESPINEIRA K. (dir.), Paris : éditions « Des Ailes sur un tracteur », 2012, 350 p.

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Droit de l’Homme et Identité de Genre, HAMMARBERG Thomas, Conseil de l’Europe, Bureau du Commissaire aux droits de l’homme, Strasbourg, octobre 2009, [En ligne], https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=1829911&SecMode=1&DocId=1458356&Usage=2

HAS (Haute Autorité de Santé), Situation actuelle et perspectives d’évolution de la prise en charge médicale du transsexualisme en France, version pour consultation publique, Paris, 2009, [En ligne], http://www.transidentite.fr/fichiers/ressources/rapport_transs_cons_pub.pdf

IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales), Évaluation des conditions de prise en charge médicale et sociale des personnes trans et du transsexualisme, rapport établit par ZEGGAR Hayet et DAHAN Muriel, 2011, [En ligne], http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000209/0000.pdf

IRIS, « Orientation sexuelle et identité de genre à travers le monde », CALLEJON Claire, groupe de travail sur la dépénalisation universelle de l’homosexualité, dirigé par Frédéric MARTEL, novembre 2012.

INSTITUT DE VEILLE SANITAIRE, Transsexuel(le)s : conditions et style de vie, santé perçue et comportements sexuels – Résultats d’une enquête exploratoire par Internet, D’ALMEIDA WILSON Kayigan, LERT France, BERDOUGO François, HAZERA Hélène, , Bulletin épidémiologique hebdomadaire, Institut de Veille Sanitaire, n° 27, Paris, 2008.

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Stop Trans Patholigization – International Campaign STP, Recent Developments related to the DSM and ICD Revision Processes, Coordination team of Stop Trans Pathologization, 2013, [En ligne], http://www.stp2012.info/STP_Communique_DSM_ICD.pdf

La Transidentité (essai)

La Transidentité, de l’espace médiatique à l’espace public

Illustration de Maud-Yeuse Thomas

L’Harmattan
Septembre, 2008
Auteur(s) : K. Espineira

C’est à partir de l’opération de Christine Jorgensen en 1952 au Danemark, que le fait qu’un homme puisse devenir une femme, après une intervention chirurgicale, entre dans l’esprit du grand public en raison de sa très forte médiatisation. L’analyse du traitement télévisuel de la transidentité, considérée comme expression la plus singulière de l’identité, est-elle susceptible de donner des outils de lectures sur la construction des normes de genre au-delà de la transidentité ?

Lien vers l’Harmattan

Sur « Diagnosing Difference »

 Transidentités : soustraire les différences au diagnostic

Par Karine Espineira, Maud Yeuse Thomas, Alessandrin Arnaud

Le documentaire « Diagnosing difference », base d’une analyse de la question de diversité que recouvre les transidentités, du problème du diagnostic, et des réalités sociétales et individuelles qui en découlent.


Extrait :

Samedi 11 février était diffusé pour la première fois en France le reportage « diagnosing différence » [1]. Sur une heure, treize de témoignages se succèdent : Susan Stryker, Adela Vazquez… Ils reviennent, tous à leur façon, sur les effets iatrogènes des catégories psychiatriques, sur leurs effets directs sur le story tellingdes transidentités et sur les modes de reconnaissances qu’ils imposent. « Ca ne m’apporte rien cette étiquette » dit l’une des interviewées ; « Je ne peux pas appeler mon patron le matin pour lui dire : « pardon patron, je ne viendrai pas travailler aujourd’hui, j’ai un trouble de l’identité de genre… ». À l’instar du reportage de Valérie Mitteaux (« mon sexe n’est pas mon genre » [2]), les profils et les récits trans’ de « diagnosing différence » nous semblent à la fois répondre à une promesse d’inclusion autour du terme de « transidentité » (« transsexuel, trangenre, genderqueer : il y a autant d’appellations que tu veux ») et à une mise à mal du diagnostic « transsexuel » comme élément central et nécessaire aux subjectivations trans’ « Est-ce qu’il faut améliorer le diagnostic ? La question c’est : est-ce qu’il faut un diagnostic ? » « Je dirai que j’ai une identification de genre moins fréquente, ça ne fait pas de moi une pathologie ». Comme élément de classification et de reconnaissance, la labellisation « transsexuelle » est alors dénoncée comme une imposition maltraitante [3] et désubjectivante : « C’est trop violent de vouloir faire rentrer les gens dans des catégories pathologisantes » ; « Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir un problème. Que la société n’ait pas de place pour moi, ça c’est une source de problème.» ; « Les catégories de sexe et de genre ne sont pas assez souples pour contenir qui je suis » ; « Le diagnostic m’a volé mon identité ».

Dans une acception Delphyiste nous pourrions dire que « dire la différence » revient à « dire la hiérarchie » [4]. Ainsi, en créant un hors cadre « transsexuel », il se créée surtout une hiérarchisation entre les « trans » et les « cis » [5], les non-trans, de telle sorte que le diagnostic, c’est-à-dire la validation a posteriori de la différence, s’effectue à la défaveur des identités de genres minoritaires, immédiatement basculées du côté de la déviance. Le diagnostic impose alors des « gages de normalité », une procédure de cisexualisation des identités labellisées « transsexuelles ». Or les expériences de genres vécues débordent des genres assignés et des sexes réassignés [6]. Ils disent aujourd’hui la pluralité sans promettre une normalisation. (…)

La suite sur GanyMède

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NOTES :

[1] J’emprunte la formulation du « diagnostic de la différence » au reportage « diagnosing différence » d’Annalise Ophélian (2009) dont le sous-titre est : « la nature adore la diversité, ce sont les humains qui ont un problème avec ça »

[2] Lire par exemple : « Mon sexe n’est pas mon genre », Observatoire Des Transidentités, novembre 2011, disponible sur : http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com

[3] SIRONI F., Psychologie(s) des transgenres été des transsexuel(le)s, Odile Jacob, 2011.

[4] DELPHY C., Classer, dominer, qui sont les « autres » ?, La fabrique, 2008

[5] « Cis » signifie « du même côté de ». La « Cisidentité » renvoie donc à la congruence entre les expériences de genre vécues et l’assignation de genre faite à la naissance. Lire à ce propo : SERANO J.,Whipping girl, a transsexual woman on sexism and the scapegoating of feminity, Seal edition, 2007

[6] ALESSANDRIN A., Droit, psychiatrie et corps Trans : le triple débordement, in Aux frontières du genre (dir.), L’Harmattan, 2012.

Le bouclier thérapeutique

Discours et limites d’un appareil de légitimation

Le sujet dans la Cité, « Habiter en étranger : lieu mouvements frontières », Christine Delory-Momberger & Jean-Jacques Schaller (dir.), Revue internationale de recherche biographique, n° 2, Paris, 15 octobre 2011, pp. 189-201.

Résumé

En 1982, le professeur René Küss plaide à la télévision pour un protocole appelant à distinguer entre  » vrais  » et  » faux  » trans’ : de » vrais trans’  » ne causent aucun trouble dans le genre ; on leur accorde une aide exceptionnelle (l’opération) par laquelle – hommes devenus femmes ou femmes devenues hommes – ils rentrent dans l’ordre du genre et de l’identité. Telle est l’une des premières expressions de ce que nous proposons d’appeler le  » bouclier thérapeutique « , formule qui paraît convenir à refléter l’ambiguïté de la position ainsi défendue. Les trois décennies qui suivent voient s’affronter les affirmations transidentaires et l’idéologie dominante des  » traitants « . S’inscrivant dans la dynamique des Gender Studies, les trans’ hors protocole engagent un large mouvement de revendication sociétale, politique et philosophique, tandis que les  » traitants  » défendent leur statut et leur expertise de médecins et de  » professionnels « . Appareil de légitimation d’un ordre ancien, le  » bouclier thérapeutique  » ne serait-il plus aujourd’hui pour ses partisans que le dernier vestige d’une ère marquée par l’effritement d’un deuxième bouclier, juridique celui-ci, garantissant que la libre disposition de l’état civil reste une exception ? Sur ces questions qui interrogent profondément les représentations que nos sociétés se font d’elles-mêmes, peut-être le temps est-il venu de libérer la route tracée par la recherche en sciences sociales et humaines, en l’ouvrant en particulier aux nouveaux paradigmes amorcés par les Études de Genre.

Abstract

In 1982, Professor René Küss made a televised call for a defined procedure to distinguish between « real » and « false » trans people: stating that people who are « real transgender” cause no disorder to the gender order ; they can be afforded exceptional assistance (an operation) through which men can become women and women can become men, bringing them into the gender and identity order. This was the one of the first expressions of what we propose to call the « therapeutic shield », an expression which highlights the ambiguity of the position he defended. During the three following decades we observe a confrontation between the need for self-affirmation by those identifying as trans and the dominant ideology of those promoting « treatments ». Positioning themselves under the umbrella of the Gender Studies movement, people who are transgender and who are not covered by the therapeutic procedure set up a broad social, political and philosophical protest movement, whereas the « treaters » defended their status and expertise as doctors and « professionals ». Is this « therapeutic shield », still used today as a device to legitimize the ancient order, not the last remnant of an era marked by the erosion of a second “legal shield” guaranteeing that free disposal of the civil status remains a unique legal exception? Such issues deeply question the lenses through which our societies represent themselves. Perhaps the time has come to free up the route traced by social and human science research in order to allow new paradigms envisioned by Gender Studies to emerge.

En ligne, HAL – Archives ouvertes

2 lesbotrans se posent des Q

« 2 lesbotrans se posent des Q », Maud-yeuse Thomas et Karine Espineira, in Q comme Queer, Bourcier Marie-Hélène (dir.), GKC, Lille, 1998, pp. 100-104.